La revue trimestrielle du Gsara


Analyse

EVRAS, IVG, engagement politique : ces fake news qui vous veulent du mal

Laudine LahayeOptiques n°7 – printemps 2025

Dans nos sociétés hyper-connectées, les fausses informations dites « fake news » ou « infox » se répandent plus vite que la lumière. À l’heure où l’entreprise Meta annonce des changements dans la modération et la vérification des informations sur ses plateformes américaines, il y a lieu de craindre une diffusion accrue de fake news en provenance des USA. Comment et pourquoi les femmes sont-elles particulièrement affectées par les infox, ici ou ailleurs ? En tant que mouvement féministe d’éducation permanente, Soralia se doit d’alerter sur les discriminations de genre dans l’espace public tant « physique » que numérique.

Une illustration flagrante de la propagation de fake news en Belgique est celle qui a vu le jour suite à l’adoption de l’accord de coopération EVRAS – Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle – par les trois parlements francophones de Belgique en 2023. La période du vote, en vue de généraliser et harmoniser les animations EVRAS en milieu scolaire, a été marquée par de multiples vagues de désinformation sur les réseaux sociaux jusqu’aux boîtes aux lettres de nos habitations. Des groupuscules et individus extrémistes ont hurlé au scandale et répandu mensonges sur mensonges face à des parents crédules et apeurés.

D’après ces croyances réactionnaires, l’EVRAS ferait la promotion de la pornographie, de la masturbation, de l’homosexualité ou de la transidentité auprès des enfants et des jeunes. C’est évidemment faux mais de tels « arguments » qui attisent la peur, en jouant sur l’émotionnel, en créant la polémique et une panique morale démesurée permettent de générer des caisses de résonnance aux idées les plus conservatrices de notre société. Afin de contrecarrer les fausses informations sur le sujet, Sofélia – La Fédé militante des Centres de Planning familial solidaires a axé sa campagne d’éducation permanente sur les idées reçues en la matière1.

Des fake news pour décrédibiliser les luttes

Comme l’a montré l’actualité autour de l’EVRAS, les fake news peuvent porter atteinte à la santé ainsi qu’aux droits sexuels et reproductifs. Un processus constant de désinformation s’observe par exemple à l’égard des interruptions volontaires de grossesse (IVG). Les manifestant·e·s anti-IVG investissent Internet et les réseaux sociaux pour diffuser vidéos et publications mensongères sur l’acte médical, ses conséquences physiques et mentales, l’accompagnement des femmes concernées ou encore les aspects légaux de la procédure d’avortement. Ces méthodes de communication, utilisant des codes et des styles notamment prisés par les jeunes, donnent un nouveau souffle et une nouvelle visibilité aux discours anti-IVG2.

Que ce soit à propos de l’EVRAS en général, de l’avortement ou même de la vaccination, ces types de fake news rappellent aux femmes qu’elles doivent à tout prix protéger et employer leur corps pour faire naître la vie. Ce sont des injonctions à respecter la place et la fonction qui leur sont dévolues par le système patriarcal.

Les fake news ont des implications majeures en matière d’égalité femmes-hommes. Très souvent utilisées en politique, elles s’attaquent fréquemment aux femmes candidates lors d’élections. En Amérique latine, la fondation Multitudes a mis sur pied un observatoire sur la désinformation et les fake news à l’encontre des femmes. Selon leur première enquête, 97% des parlementaires chiliennes interrogées ont dit avoir été victimes d’une campagne de désinformation sur les réseaux sociaux3.

En Allemagne, Annalena Baerbock, la candidate du parti écologiste pour le poste de chancelière a également été victime de nombreuses fake news, en 2021, pendant la campagne électorale4. Certaines infox lui ont prêté l’idée de vouloir interdire les animaux domestiques au prétexte de réduire les émissions de carbone ou de ne pas appliquer les règles de distanciation physique et de port du masque. Plus gravement, elle a été identifiée à tort sur une photo montrant une jeune femme nue avec une légende sous-entendant qu’elle avait besoin d’argent. C’était en réalité la photo d’une jeune femme qui lui ressemblait.

En France, Brigitte Macron est régulièrement victime d’une fake news aux relents transphobes. Cette infox prétend qu’elle ne serait pas une femme cisgenre mais une personne transgenre, née sous le nom de Jean-Michel Trogneux. Cette fausse information a beaucoup de succès auprès de l’extrême-droite et des opposant·e·s à la présidence d’Emmanuel Macron5.

Des fake news pour réaffirmer les rôles traditionnels de genre

Au-delà de causer du tort à l’image, aux actions et au message porté par les femmes visées, les fake news ont pour objectif de rappeler aux femmes quelle doit être leur prétendue place dans la société. Faire de la politique, c’est sortir de la sphère privée, être dans la compétition, prendre des décisions, débattre, s’opposer, entreprendre, détenir du pouvoir. Ces caractéristiques sont davantage attendues des hommes et sont donc beaucoup moins valorisées quand ce sont les femmes qui les possèdent.

Les femmes qui recherchent le pouvoir sont mal vues. Une fake news, en attaquant la crédibilité des femmes puissantes, va agir comme un « rappel à l’ordre » des choses, à la place « naturellement » subordonnée que devraient occuper les femmes par rapport aux hommes. La fausse photo dénudée d’Annalena Baerbock a la vocation de « prouver » la faiblesse de la candidate. Les photos de nudité sont encore très souvent associées à un manque de sérieux, donc à une personnalité trop « frivole » et légère de la part des femmes qui posent dessus. Ce soi-disant manque de sérieux n’est pas « compatible » avec la figure de chef·fe d’État.

Un autre versant de ce « rappel à l’ordre » des choses se reflète dans les fake news qui font passer les femmes pour des personnages diaboliques, aux intentions mauvaises et destructrices, a contrario de la figure de la femme qui devrait être « aimante », « attentionnée », « dévouée ». Insinuer qu’une femme ne respecte pas « sa place de femme » et l’outrepasse de différentes façons est un argument de poids pour encourager les personnes qui tiennent à une répartition traditionnelle des rôles et des espaces entre hommes et femmes à ne pas voter pour elle ou à ne pas la soutenir dans son parcours professionnel.

Les fake news se nourrissent des stéréotypes de genre et contribuent à leur maintien. Elles représentent un frein supplémentaire à l’entrée et à la carrière des femmes en politique, soit en les dissuadant de s’y investir, soit en complexifiant leur élection ou leurs mandats une fois élues. Les fausses informations menacent donc la parité et la possibilité pour les femmes d’avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent. C’est le fondement même de la démocratie représentative qui est ébranlé6.

Apporter des solutions au niveau sociétal

S’il existe diverses méthodes de fact-checking afin de débusquer les infox à l’échelle individuelle, la réponse à amener pour lutter contre la désinformation doit avant tout être sociétale. Les réseaux sociaux ont une responsabilité importante et doivent démanteler les pages, groupes et bloquer les propagatrices·teurs de fausses informations. Cela n’est néanmoins pas suffisant puisque ces personnes se tournent alors vers d’autres médias plus alternatifs et cohérents avec leur propres valeurs.

Au niveau politique, s’il semble à ce jour difficile de légiférer contre les fake news7, il est opportun de soutenir financièrement et logistiquement les organismes d’éducation aux médias. Loin de se limiter aux salles de classe, l’éducation aux médias doit s’envisager de façon transversale au travers notamment de campagnes de sensibilisation, d’outils pédagogiques et de recherches. Elle nécessite, en outre, une appropriation par le monde associatif et militant en vue de toucher une population vaste et potentiellement victime de la fracture numérique.

Georges Orwell disait qu’en ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. Encore faut-il qu’on y mette les moyens…

  1. SOFÉLIA, Relations, sexualités, identités – Décodons l’EVRAS à l’heure du numérique, Dossier de presse, octobre 2024, https://s.42l.fr/rurKG9Fc ↩︎
  2. FOUBERT Margot, « Anti-IVG 2.0 : quand d’habiles stratégies de communication vous dissuadent d’avorter », Femmes Plurielles, mars 2021, pp. 14-15, https://lstu.fr/WK3xeqo1. ↩︎
  3. PINO C. María Alejandra, « La desinformación que afecta a las mujeres es una forma de violencia de género », Austral, 16 janvier 2022, https://cutt.ly/2O3lnqW. ↩︎
  4. AFP, « La candidate verte ciblée par les ‘fake news’ », L’essentiel, 29 avril 2021, https://cutt.ly/BPLhXxL. ↩︎
  5. AFP, « Une fake news sur Brigitte Macron devient virale, la Première Dame va porter plainte », Le Soirmag, 22 décembre 2021, https://cutt.ly/kO3lIi2. ↩︎
  6. « Forme de démocratie dans laquelle des représentants élus par les citoyens élaborent et votent les lois ». Source : CRISP, « Démocratie représentative », Vocabulaire politique, 2022, https://cutt.ly/hO3lX7r. ↩︎
  7. Laloux Philippe « Faire de la Belgique un «laboratoire anti-fake news» , Le Soir+, 17 juillet 2018, https://lstu.fr/DtZQs68X. ↩︎

Laudine Lahaye

Chargée d’études pour l’asbl Soralia