La revue trimestrielle du Gsara


Analyse

La politique et les réseaux sociaux, place à la communication horizontale

Justine EsserOptiques n°4 – été 2024

Les nouvelles technologies ont transformé la manière dont les personnalités politiques peuvent interagir avec leur électorat.

Avec l’émergence des réseaux sociaux dans la société actuelle, les personnalités politiques bénéficient d’une nouvelle plateforme pour communiquer directement avec le public. Les nouvelles technologies ont transformé la manière dont les politiques interagissent avec leur électorat. Les grands médias traditionnels, comme la presse écrite et audiovisuelle, avaient autrefois un rôle clé durant les élections. Les réseaux sociaux s’introduisent aujourd’hui entre les citoyens et les politiques et viennent perturber et déstabiliser ce triangle. Les petits partis qui ne sont pas mis en avant dans les médias traditionnels et les personnalités controversées ont la possibilité de renforcer leur visibilité publique. Les réseaux sociaux créent un lien direct et permettent une horizontalité entre les citoyens et les élus.

Sur YouTube et Instagram, les personnes qui ont le plus d’impact sur les jeunes sont les influenceurs. Lorsqu’on souhaite atteindre un objectif, en général dans un but publicitaire, on essaie de trouver ceux qui s’en approchent le plus : La logique est identique pour les personnalités politiques qui cherchent à consolider, voire élargir leur électorat. Lors notre dernière campagne d’Education permanente « Sous influence ? », nous avons relevé que les réseaux sociaux étaient la première source d’information des 18-34 ans : Ils sont 45% à s’informer via ce média, contre 7% dans la presse écrite (Niederhoffer, 2022).

De nombreux citoyens belges se préparent à exercer leur droit de vote pour la première fois lors des prochaines élections. La plupart de ces individus sont des jeunes qui ne possèdent que peu ou pas de connaissances politiques relatives au territoire ou qui n’ont pas d’opinions tranchées sur la question. Que la communication des politiques se passe également sur les réseaux sociaux n’est donc pas surprenant. Deux voies de communication sont possibles pour une personnalité politique qui souhaite communiquer sur les réseaux sociaux, ces deux voies n’étant pas incompatibles l’une avec l’autre.

Une option pour les élus est de faire appel à des influenceurs qui ont déjà une communauté établie.

Ce concept est encore peu développé sur le territoire belge francophone. On compte encore peu d’influenceurs prêts à prendre position sur des questions politiques, craignant de voir s’envoler des opportunités commerciales avec des marques ou d’être mal perçus par leur communauté. Comme nous avons pu l’évoquer dans notre campagne l’année passée, les créateurs et créatrices préfèrent garder une certaine ligne de conduite par rapport à leur contenu, ce qui leur permet de créer une communauté fidèle et si des sujets évoqués dans leurs publications sont considérés « Hors thème », cela peut leur faire perdre des abonnés.

Pour nos voisins français, un défi différent du nôtre se pose lors des élections, celui de faire venir les abstentionnistes aux urnes. Par exemple, au premier tour des législatives de 2017, 64% des moins de 35 ans n’ont pas voté. Pour les Régionales de 2020, ce nombre atteint un record : 87% d’abstentionnistes au premier tour chez les jeunes, contre 67% des Français en moyenne. À l’inverse, seuls 40% des plus de 70 ans ne sont pas allés voter, et 56% des 50-69 ans, d’après un sondage Ipsos et Sopra Steria (Niederhoffer, 2022). En politique : vous prenez position pour séduire ceux qui hésitent, mais surtout pour donner aux abstentionnistes la motivation d’aller voter. C’est à ce titre que les jeunes sont particulièrement attractifs. La jeunesse abstentionniste est vue comme un réservoir de voix.

De grands influenceurs français comme McFly et Carlito avaient fait venir sur leur chaîne le président Macron lors des dernières élections en 2021. EnjoyPhoenix avait également interviewé, durant la même année, sur Twitch le porte parole du gouvernement Gabriel Attal. On peut considérer que ces situations donnent une certaine validité à cette nouvelle manière de s’adresser à son électorat. Une des grandes critiques, en réponse à ce mode de communication selon Pascal Lardellier, sociologue français, est que même si « le potentiel de toucher des millions de personnes est énorme, les influenceurs n’ont pas toujours les compétences ou la légitimité. Ils se font finalement les porte-voix de discours qui les dépassent. »( France Inter, 2022).

Les messages peuvent également être mal perçus par la communauté des influenceurs. Certaines lignes sont brouillées. La plupart du temps, les influenceurs sont aimés pour l’amusement qu’ils procurent grâce à leur contenu. Cependant, l’idée d’intégrer des sujets liés à la réalité et à la politique dans leur contenu ne fait pas l’unanimité. Un message politique est généralement mieux reçu lorsqu’un influenceur encourage ses abonnés à voter, sans prendre position pour un candidat en particulier.

Une deuxième option pour les mandataires publics est de devenir eux-mêmes influenceurs sur les plateformes numériques.

En tant qu’utilisateur, on ne devrait plus être surpris de voir un ministre participer à une tendance TikTok populaire, un élu local réagir à une actualité internationale ou des personnalités politiques faire la promotion de produits/services. C’est une aubaine pour la presse, qui peut désormais plus aisément diffuser les écarts de conduite et les déclarations de toutes sortes. Toute publicité est bonne à prendre pour les candidats. Les réseaux sociaux permettent d’afficher une image moins rigide et plus chaleureuse de soi.

Afin de pouvoir s’adonner aux algorithmes, il est essentiel de posséder une équipe experte dans ce domaine. Des ressources économiques sont nécessaires pour assurer une visibilité. Un des aspects négatifs pour cette façon de procéder est qu’elle peut commencer par encourager les politiciens à privilégier les aspects de leur travail qui attirent le plus l’attention et qui sont les plus populaires auprès de l’opinion publique, plutôt que de s’engager dans des missions moins voyantes mais plus bénéfiques pour le bien commun.

On peut finir par idéaliser une doctrine politique parce qu’elle paraît « tendance » lorsqu’elle est diffusée par des influenceurs politiques au lieu de s’intéresser au idéologies de fond du parti. Ce genre de communication ne plaît pas (encore) à tout le monde. D’une manière plus discrète, certains élus utilisent les réseaux sociaux comme outil de communication multilatérale pour être plus proches de la population. Cette méthode directe et rapide peut être bénéfique pour créer une relation plus étroite et transparente avec les citoyens.

En Belgique francophone, les personnalités politiques les plus présentes sur les réseaux sont Elio Di Rupo avec 152.900 abonnés sur Tiktok, Paul Magnette avec 44.000 abonnés sur Instagram et Georges-Louis Bouchez avec 58.000 abonnés sur Facebook.

Ce genre de communication ne plaît pas (encore) à tout le monde. D’une manière plus discrète, certains élus utilisent les réseaux sociaux comme outil de communication multilatérale pour être plus proches de la population. Cette méthode directe et rapide peut être bénéfique pour créer une relation plus étroite et transparente avec les citoyens.

L’impact de cette communication sur la population et les résultats électoraux.

Les opinions divergent grandement concernant la présence des politiciens sur les réseaux sociaux en ce moment. Ce qui revient le plus dans les commentaires des utilisateurs est qu’ils se sentent un peu mal à l’aise avec leur présence. Les chefs d’État qui publient des contenus humoristiques en ligne contredisent l’image sérieuse qu’on attend d’eux, ce qui déstabilise les citoyens.

Il est également crucial que la population s’efforce de saisir les motifs qui sous-tendent les décisions de nos élus, plutôt que de tomber sous le charme d’une image de marque bien rodée qui ne cherche qu’à accroître la popularité du dirigeant. Comme dans tout métier, c’est l’image de fond qui doit être jugée et non la popularité et le storytelling de l’élu ou du candidat.

En Europe, nous avons déjà un exemple concret sur ce type d’influence des politiques sur les réseaux. Une étude réalisée en Finlande a en tout cas prouvé que TikTok a largement influencé les électeurs les plus jeunes à voter pour le parti populiste et nationaliste, le Parti des Finlandais en avril 2023. D’après ce sondage, 27% de 18-30 ans ont voté pour ce parti, et 62% de ceux-ci disent avoir été influencés par les formats de TikTok. Le Parti des Finlandais a récolté 20.06% des voix, lui permettant d’avoir sa place au sein du gouvernement (Dieu, 2024).

Comme cette méthode de communication est encore récente, les politiciens travaillent en mode « essais et erreurs ». Les retours et les critiques du public et des utilisateurs des réseaux sociaux aident à comprendre quelle stratégie de communication est la plus adaptée. Il sera intéressant d’observer les résultats de juin et d’octobre et évaluer l’influence que les campagnes sur les réseaux sociaux auront eu sur ceux-ci.

Dieu, P. M. (2024, 19 avril). Décryptage : TikTok, le réseau préféré des politiques à l’approche des élections ? « Ça laisse une place. RTL Info.
https://www.rtl.be/actu/decryptage-rtl-info/decryptage-tiktok-le-reseau-prefere-des-politiques-lapproche-des-elections-ca/2024-04-19/article/660496

Niederhoffer, S. (2022, 6 septembre). Les influenceurs : nouveaux leviers de la communication politique ? JUPDLC.
https://jai-un-pote-dans-la.com/influenceurs-nouveaux-leviers-communication-politique/

France Inter ,Politique et influenceurs : un mariage de raison obligé ? (2022, août 4).
https://www.radiofrance.fr/franceinter/politique-et-influenceurs-un-mariage-de-raison-oblige-5512709

Justine Esser

Coordinatrice pédagogique